Par Bachir Ahechmoud, Élu professionnel, Premier vice-président de la Chambre de commerce, d’industrie et des services Souss-Massa
Inezgane, Souss-Massa, dimanche 1er juin 2025
Le récent rapport du Haut-Commissariat au Plan (HCP), publié en mai 2025, sur la cartographie de la pauvreté multidimensionnelle, n’est pas qu’une simple photographie ; c’est une boussole stratégique essentielle pour guider nos actions et nos décisions. Nous devons en saisir toute la portée pour bâtir un Souss-Massa plus équitable, résilient et prospère
Le Diagnostic du HCP : Un Progrès National Qui Appelle à l’Action Locale Ciblée Face aux Nouveaux Défis
Le HCP confirme une avancée majeure pour le Maroc : un recul significatif de la pauvreté multidimensionnelle entre 2014 et 2024. C’est le fruit d’une vision nationale et d’efforts continus, que nous devons capitaliser et adapter à l’échelle régionale
Cependant, le rapport met en lumière une réalité fondamentale pour le Souss-Massa : la pauvreté reste majoritairement un phénomène rural. Le HCP révèle que 72% des personnes en situation de pauvreté multidimensionnelle résident en milieu rural, et leur taux de pauvreté demeure quatre fois supérieur à celui des zones urbaines, même après une baisse notable (de 23,6% à 13,1% en milieu rural, contre environ 3% en milieu urbain).
À cette réalité structurelle s’ajoute une menace grandissante : le manque d’eau. Les années successives de sécheresse, aggravées par les effets du changement climatique, ont un impact dévastateur sur l’agriculture, principale source de revenus en milieu rural, et sur l’accès fondamental à l’eau potable pour les populations. Ce stress hydrique chronique vient intensifier la pauvreté multidimensionnelle, en fragilisant encore davantage des communautés déjà vulnérables. De plus, le séisme d’Al Haouz a tragiquement confirmé l’urgence de cette situation, en exposant la vulnérabilité extrême de nos populations dans les zones reculées, notamment dans la province de Taroudant. Les routes d’accès coupées, l’isolement des villages, le manque de structures sanitaires résilientes ont démontré de manière criante l’ampleur des défis
Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour notre région
Nos pôles urbains majeurs comme Agadir, Inezgane, Dcheira et Aït Melloul, sont les moteurs économiques. Ils contribuent à des taux de pauvreté plus faibles, mais des poches de vulnérabilité peuvent y exister, particulièrement dans les quartiers périphériques
Les capitales provinciales comme Tiznit, Biougra, Taroudant et Tata, sont cruciales pour l’équilibre territorial. Leur développement en termes d’accès à l’éducation, à la santé, au logement et à l’emploi peut varier, et elles peuvent présenter des poches de vulnérabilité
Les zones rurales du Souss-Massa sont le cœur de notre défi. C’est dans l’arrière-pays, dans nos douars montagneux, nos oasis et nos villages isolés, que la pauvreté multidimensionnelle est la plus persistante. Il ne s’agit pas uniquement d’un manque de revenu, mais d’une accumulation de privations fondamentales et d’un dénuement criant. Ces douars souffrent d’un accès limité ou inexistant à l’eau potable, à l’électricité, à des écolesfonctionnelles, à des centres de santé de proximité, à des routes et transports adéquats, et, fait crucial au 21e siècle, à un accès limité ou inexistant aux nouvelles technologies et à la connectivité numérique. C’est ici que l’action publique doit être la plus intensive, la plus résolue et la mieux coordonnée pour briser les cycles de la pauvreté et garantir une dignité minimale
L’INDH et les Politiques de Ciblage : Des Leviers Stratégiques à Maximiser Face aux Crises
Le rapport du HCP valide l’efficacité des politiques de ciblage territorial, notamment l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH). La réduction significative du taux de pauvreté (de 27,8% à 15,5%) dans les 702 communes rurales ciblées est une preuve irréfutable de la pertinence de cette approche focalisée
Il est de notre responsabilité, en tant qu’élus et autorités, de
Réorienter l’investissement public et l’adapter aux nouvelles réalités : Les plans d’action et les projets de développement régionaux et locaux doivent refléter une priorité absolue donnée aux douars lointains. Il s’agit de concentrer nos efforts et nos budgets là où les privations sont les plus aiguës, plutôt que de multiplier les investissements de “maquillage” dans des zones déjà favorisées. C’est une question d’équité et d’efficacité.
Renforcer l’alignement stratégique : Chaque dirham investi doit être parfaitement aligné sur les zones et les dimensions de la pauvreté multidimensionnelle identifiées par le HCP, en intégrant désormais les défis liés au stress hydrique et au changement climatique
Innover dans la coordination et la transversalité : Mettre en place des mécanismes robustes pour décloisonner les interventions des différents départements et niveaux de gouvernement. Une approche intégrée est indispensable pour maximiser l’efficacité de l’INDH et d’autres programmes sociaux, en garantissant l’accès à l’eau (par des solutions durables et innovantes comme le dessalement ou la réutilisation des eaux), l’électricité, l’éducation, la santé, les infrastructures routières, et la connectivité numérique, dans les zones les plus isolées
Optimiser l’allocation des ressources : Allouer les budgets de manière ciblée et transparente, en privilégiant les projets qui répondent directement aux privations identifiées et qui génèrent des opportunités économiques durables et résilientes dans les zones rurales et leurs villes-satellites.
Le Rôle Central des Acteurs Politiques : Bâtisseurs de la Prospérité Partagée et de la Résilience
Cette cartographie de la pauvreté multidimensionnelle n’est pas seulement un constat ; c’est une feuille de route claire et impérative pour l’ensemble de la classe politique et des autorités publiques de la région. Le séisme d’Al Haouz a tragiquement confirmé l’urgence de cette feuille de route, en exposant la vulnérabilité extrême de nos populations dans les zones reculées, notamment dans la province de Taroudant. La crise de l’eau, due à des années successives de sécheresse et au changement climatique, ajoute une couche de vulnérabilité majeure. Il est inhumain qu’au 21e siècle, avec tous les potentiels économiques de notre région, certains de nos concitoyens vivent encore dans la pauvreté
Aux élus communaux et provinciaux : Votre connaissance du terrain fait de vous les premiers responsables. Le rapport du HCP doit être votre référence pour élaborer des Plans d’Action Communaux et Provinciaux qui ciblent précisément les besoins des populations les plus vulnérables, en particulier dans les douars isolés. La résilience face aux catastrophes naturelles et la gestion durable de l’eau doivent être intégrées à chaque projet.
Aux élus régionaux et aux membres du Conseil National : Vous détenez la vision stratégique. Il vous incombe de traduire les recommandations du HCP en un Plan de Développement Régional ambitieux et inclusif, avec une priorité nette donnée au développement des zones rurales lointaines. Cela passe par des allocations budgétaires régionales ciblées, l’attractivité des zones intérieures, et la diversification économique. La reconstruction et le renforcement des infrastructures résilientes dans les zones sinistrées, notamment à Taroudant, doivent être au cœur de cette stratégie, tout comme l’élaboration de politiques régionales innovantes pour l’adaptation au changement climatique et la gestion de la ressource en eau. Il est impératif de décentraliser les investissements et les moyens de développement et de création d’emploi vers les zones non-côtières, là où les besoins sont les plus criants
Aux parlementaires représentant la région : Votre mission est de porter la voix du Souss-Massa au niveau législatif et budgétaire national. Le rapport du HCP vous fournit les arguments nécessaires pour plaider en faveur de l’allocation de ressources nationales supplémentaires pour les programmes de développement des zones défavorisées de notre région, et assurer la mise en place de politiques de péréquation favorisant l’équité territoriale.
Aux partis politiques : Vos programmes électoraux et vos plateformes doivent impérativement intégrer les données et les recommandations du HCP, avec une emphase particulière sur le comblement des déficits structurels dans les zones rurales les plus isolées, sur le renforcement de leur résilience, et sur les stratégies d’adaptation aux conséquences du changement climatique, notamment en matière de gestion de l’eau.
Une Nouvelle Approche : Le Partenariat Inter-Communal pour la Solidarité Territoriale
Au-delà des cadres classiques de financement et d’investissement, je propose d’explorer une approche innovante, ancrée dans la solidarité et la vision à long terme : le partenariat inter-communautaire
Les communes riches en production, en importations, et en recettes fiscales et commerciales, principalement nos grandes villes urbaines comme Agadir, Inezgane, Dcheira, et Aït Melloul, ont une responsabilité et un potentiel unique. Elles doivent impérativement réfléchir à programmer dans leurs budgets de fonctionnement ou d’investissement des lignes dédiées au soutien des communes rurales environnantes ou intérieures, sous forme de partenariat inter-communautaire
Ce partenariat pourrait prendre plusieurs formes concrètes
Transferts de fonds ciblés : Les communes urbaines pourraient allouer une partie de leurs excédents budgétaires à des projets spécifiques dans les communes rurales (ex: financement de réseaux d’eau potable, électrification de douars isolés, construction d’écoles ou de centres de santé)
Partage d’expertise et de ressources : Les services techniques des grandes villes pourraient accompagner les communes rurales dans la planification de projets, la gestion des déchets, ou le développement de l’urbanisme
Co-financement de projets structurants : Des projets d’envergure régionale (routes, unités de transformation agricole, centres de formation) pourraient être co-financés par un consortium de communes urbaines et rurales
Mise en place de fonds de solidarité communale : Créer un mécanisme où une quote-part des recettes des communes les plus dynamiques serait versée à un fonds géré au niveau provincial ou régional, spécifiquement dédié au développement des communes les plus fragiles.
Cette initiative renforcerait non seulement la cohésion régionale mais aussi la légitimité des villes en tant que moteurs du développement inclusif. C’est une démarche où la prospérité des uns contribue directement à la dignité et au progrès des autres, brisant les cycles de la pauvreté et de l’isolement
L’Appel à la Solidarité des Filles et Fils du Souss : Un Héritage à Revitaliser et un Avenir à Bâtir
Au-delà des actions des pouvoirs publics, nous devons réactiver et amplifier un pilier fondamental de notre identité Soussienne : l’esprit d’initiative locale et la solidarité ancestrale. Le Souss est historiquement reconnu pour la capacité de ses enfants, même établis loin de leurs lieux de naissance, à ne jamais oublier leurs origines
Il est temps que tous ceux qui militent pour le bien-être de leurs villes de résidence coutumière – les commerçants, les industriels, les prestataires de services, les fonctionnaires, les salariés du secteur privé, les professeurs et les médecins, et même les élus parmi eux – tournent leur regard vers leur village natal et d’origine. C’est une démarche profonde, un retour aux sources qui honore l’exemple de nos ancêtres. Ces pionniers de la solidarité collective, uniques à notre région, allaient travailler loin, même à l’étranger, mais leur souci principal demeurait toujours leur douar. Ils ont su, par le passé, créer des associations dynamiques pour construire des routes de liaison, ériger des écoles, forer des puits et installer des châteaux d’eau potable, souvent avec leurs propres deniers et leur labeur
Cet esprit de coopération et de bienfaisance active, où la diaspora et les élites locales contribuent directement au développement de leurs villages d’origine, est une force inégalée du Souss. Le séisme d’Al Haouz, en mettant en évidence la force des réseaux de solidarité locaux face à l’urgence, n’a fait que confirmer l’importance vitale de cette mobilisation citoyenne. Face aux défis du stress hydrique, cette solidarité est plus que jamais nécessaire pour développer des solutions locales d’accès et de gestion de l’eau
C’est un appel solennel à toutes les filles et à tous les fils du Souss : Pensez à vos douars, lieux de votre naissance et racines de votre identité. Engagez-vous, recréez ces associations, insufflez une nouvelle vie à cette tradition de développement participatif. En travaillant main dans la main avec les autorités locales, régionales et nationales, nous pourrons non seulement combler les déficits décrits par le HCP, mais aussi construire un modèle de développement qui honore notre passé et assure un avenir digne et prospère pour tous
Car, soyons clairs : investir dans ces villages lointains, c’est aussi préparer notre propre avenir et celui de nos familles. L’exode rural a marqué des générations, mais l’aspiration à revenir “au bled” est forte chez beaucoup. En dotant ces douars des infrastructures et des services essentiels – eau (gérée durablement), électricité, éducation, santé, routes, transports, et un accès fiable aux nouvelles technologies – nous créons les conditions pour qu’ils redeviennent des lieux de vie dynamiques, des havres de paix pour la retraite, et des opportunités de retour pour les jeunes générations. C’est un investissement pour un avenir où chacun, quelle que soit son origine, pourra choisir de vivre dignement là où il se sent chez lui
Notre Engagement Collectif : Transformer le Souss-Massa
Il est inhumain qu’au 21e siècle, avec tous les potentiels économiques de notre région, certains de nos concitoyens vivent encore dans la pauvreté. Les leçons amères du séisme d’Al Haouz et les défis croissants du stress hydrique dû au changement climatique ne font que renforcer cette conviction. Le Souss-Massa a un immense potentiel. En reconnaissant et en abordant frontalement les défis de la pauvreté multidimensionnelle, en priorisant l’action là où les besoins sont les plus criants, et en réactivant cette force unique de solidarité locale et inter-communale, nous pourrons transformer ces vulnérabilités en opportunités, garantissant une prospérité partagée pour tous les habitants de notre magnifique région
C’est un appel à l’action collective, à la coordination renforcée et à un engagement politique fort et sincère. Ensemble, avec une vision partagée et des actions coordonnées, nous ferons du Souss-Massa un modèle de développement inclusif et durable pour le Maroc, un modèle qui rayonne depuis ses centres urbains jusqu’au plus lointain de ses douars, et qui sait faire face aux défis de son temps
Bachir Ahechmoud Élu professionnel, Premier vice-président de la Chambre de commerce, d’industrie et des services Souss-Massa